Umberto Eco : comment voyager avec un saumon
Umberto Eco est considéré comme l’un des grands érudits de notre époque. Né dans le Piémont en 1932, il cumule les distinctions pour ses romans dont le prix Strega et Médicis pour le « Nom de la rose ». Professeur en sémiotique, il a enseigné aux Etats-Unis, en France, en Italie, sans oublier l’école normale et le collège de France. Plus connu pour ses romans dont « le Nom de la rose » (1981) et « le pendule de Foucault » (1990) il est aussi l’auteur de nombreux essais.
Je ne m’attendais pas à le retrouver dans un registre différent : la
parodie avec ces nouveaux pastiches et postiches qui constituent «
comment voyager avec un saumon »
Comme il le dit lui-même dans sa préface : « ces nouveaux postiches ne
sont pas de simples parodies, pas plus qu’il ne sont des actes de pur
divertissements : si comme je l’espère ils peuvent sembler amusants,
ils ont été presque tous rédigés sous le coup de l’indignation. Peut-on
s’indigner en souriant ? Non, quand l’indignation naît de la méchanceté
et de l’horreur, oui quand elle naît de la stupidité (…) la chose du
monde la mieux partagée ce n’est pas le bon sens, mais la bêtise ».
Le livre, constitué de récits courts, est divisé en plusieurs parties :
1- Galons et galaxie : nouvelle de science fiction sur la stupidité de la guerre. Les galaxies sont fédérées, les frontières ont disparu et l’univers est condamné à la paix éternelle en raison de la découverte de la puissance énergétique de l’acide citrique qui a modifié les lois économiques. Quel rôle dès lors peut continuer à avoir l’armée et comment sauvegarder les troupes ? La solution fut trouvé par le grand jeu du Potlatch Belliqueux : chaque dimanche des unités de l’armée s’affrontent dans un stade pour une rencontre sanglante permettant de contrôler les effectifs et de distinguer des chefs militaires. S’ajoute à cela, la doctrine Honki-Henki ou l’espionnage réciproque entre corps séparés de l’Etat, ces derniers devant avoir des activités secrètes qu’on ait envie d’espionner. S’ensuit sous forme de notes, un turn-over de généraux et colonels brillants par leur incompétence, la lourdeur administrative permettant par exemple la production d’essence à Valladolid bien que plus utilisée pour le transport depuis l’ère dite vulgaire.
2- Mode d’emploi : florilège d’anecdotes thématiques (voyager, se comprendre, vivre dans la société du spectacle, affronter les technologies nouvelles, être politiquement correct etc…) dans lesquelles le lecteur peut s’identifier dans chaque situation tant elles sont issues de la vie quotidienne. Comme, manger des petits pois en avion pendant une zone de turbulences, tenter de boire dans le train un café remplis a ras bord qui finira sur votre pantalon, ou faire 3 fois le tour de la ville en taxi pour atterrir à l’opposé de votre destination bien sûr couronné par l’engueulade du chauffeur vous reprochant de l’avoir mal informé au départ.
Quelques exemples :
- Comment voyager avec un saumon : surtout quand on va à l’hôtel et
qu’on est obligé de vider dans des tiroirs le contenu du minibar pour y
mettre au frais son saumon, lequel se retrouve le lendemain sur la
table, le frigo rempli de nouvelles boissons. Au final, le saumon est
avarié et la note d’hôtel salée (totalité du contenu du minibar
multiplié par le nombre de jours de la durée du séjour).
- Comment réagir aux visages connus : ou comment se rendre ridicule en
croyant reconnaître quelqu’un dans la rue, aller vers lui, tendre la
main pour se rendre compte qu’il s’agit d’Anthony Quinn, connu certes
mais derrière un écran.
- Comment chercher du sexe sur Internet : pour se retrouver en cliquant
sur un lien alléchant et prometteur, sur la page d’un moraliste mormon
vous traitant de cochon.
- Comment réécrire le Petit chaperon rouge : où le chaperon rouge
zoophile a rendez-vous à l’hôtel avec le loup mais ce dernier est
dévoré par la grand-mère cannibale et inceste puisqu’elle violera le
petit chaperon rouge qui sera sauvé par un non-chasseur.
3- Fragments de la Cacopédie :
La Cacopédie inventée dans une pizzeria, lors de soirées certainement
très arrosées, réunit quelques amis d’Umberto Eco comme Angelo Fabbri
dont la mort mettra fin à cette science inventive.
La Cacopédie c’est « la somme négative du savoir ou une somme du savoir
négatif. Sa tâche cognitive se proposait d’être un inventaire exhaustif
de l’anti-savoir » comme le décrit Eco.
Par exemple, comment construire une carte d’un empire à l’échelle 1 :1
et des difficultés pour déplier et replier une carte grandeur nature,
définir si la population représentée pouvait continuer à se déplacer en
réalisant des mises à jour à chaque mouvement, savoir si la carte doit
être opaque ou transparente, suspendue ou étalée à même le sol….
Ils avaient même imaginé une université d’insignifiance comparée avec quelques cours forts instructifs : Ophtalmologie gastrique, Morphématique du Morse, histoire de l’agriculture antarctique, Thérapie de l’aérophagie par pendaison, Microscopie des indiscernables, Logique informelle, Sodomokinésie, Histoire raisonnée de la dentisterie gallinacée…
Comme vous l’aurez compris, « Comment voyager avec un saumon » est un
petit livre mais qui recèle des tas de trésors de l’humour acerbe et
absurde, qui se lit merveilleusement bien, dans n’importe quel sens
mais à éviter pendant quand vous buvez si vous ne souhaitez pas vous
étouffer et recracher votre liquide sur vous.
Crises de fou rire assurées…