Et c’est ainsi qu’Allah est grand
Je ne vous l’ai peut-être pas dit, mais je suis bourbonnais. C’est quoi cette maladie, me dites-vous ?
Le Bourbonnais est constitué d’une partie de l’Allier [je tiens à
préciser que les habitants de l’Allier ne sont pas des aliénés, mais
des Alitérins], entre Montluçon, Tronçais, Saint-Pourçain en gros. La
préfecture, Moulins, ce n’est pas le Bourbonnais : c’est la ville,
l’endroit des gens qui pètent plus haut que leur c*. Et je ne vous
parle même pas de Vichy…
Surtout, le Bourbonnais n’a RIEN à voir avec l’Auvergne, à laquelle
nous sommes rattachés administrativement. Je suis d’ailleurs un
séparatiste bourbonnais et je comptais, fut un temps, détourner des
avions de tourisme sur notre aéroport de Montbeugny pour les envoyer
s’écraser sur les deux tours de la cathédrale de Clermont-Ferrand. Mais
un ancien agent de la CIA dont la famille siège dans les mêmes conseils
d’administration de sociétés que la famille Bush m’a piqué l’idée…
Mais je m’égare. Le seul point positif de l’Auvergne, c’est le journal
régional « la Montagne ». Du moins çà l’était lorsqu’Alexandre Vialatte
y tenait une chronique hebdomadaire.
Pour Vialatte (1901-1971), « une chronique, il faudrait la faire
pousser comme une herbe dans les fentes d’un mur, dans les pierres de
l’emploi du temps ». Patiemment, 18 ans durant, de 1952 à sa mort,
Vialatte cultiva et fit pousser cette herbe.
Ses chroniques, à la fois poétiques et absurdes, écrites avec la
rigueur de l’expression qui caractérisait ce traducteur de Kafka, se
finissaient invariablement par la phrase « Et c’est ainsi qu’Allah est
grand ». Chaque texte était précédé d’un incipit qui détaillait les
différents points abordés. Laissez-moi vous livrer la synthèse de la «
chronique de la queue de rat et même des dieux Peaux-Rouges » :
Mystère de la queue de rat – Percement du même – Concombres qui
marchent – Mystère de la queue de lion – Poisson qui monte aux arbres –
Vente des taille- crayon – Clientèle espagnole – Adhérez au Soleil inca
– Langue bilingue – Bannière arc-en-ciel – Manque de cadres – Idoles
ventriloques – Grand appétit des dieux à trompe – Grandeur consécutive
d’Allah.
Mais le style du monsieur, me direz-vous ? Un petit exemple, tiré d’une chronique sur la fête des mères :
«Le phénomène de la maternité, si scientifique qu’il soit devenu grâce
aux immenses progrès de la sexologie, remonte à la plus haute
Antiquité. Les mères datent de la nuit des temps. Elles ont même
précédé la civilisation. Leur importance ne saurait être exagérée. Des
briques chaldéennes en font mention, des papyrus égyptiens nous en
parlent. Que seraient devenus les hommes s’ils n’avaient pas eu de
mères ? L’humanité se composerait d’orphelins.
Recueillis par l’Assistance publique, ils se promèneraient par deux, le
jeudi, en longues files, sur des routes mouillées, sous la surveillance
tatillonne d’une vieille sœur un peu moustachue. Avec interdiction de
fumer. Honteux de leur barbe, de leur ventre, de leurs cinquante ans,
de leur calvitie. Coiffés d’un béret basque et vêtus d’une capote de
couleur bleu marine, avec des boutons d’or. »
La collection « Bouquins » a eu l’heureuse idée de regrouper toutes les
chroniques de « la Montagne » en deux tomes. Ses autres chroniques (il
a commencé à en écrire en 1922…) sont regroupées dans de nombreux
volumes, dont un qui n'est pas sans rappeler un article précédent : « Profitons de
l’ornithorynque ».
Et comme disait Vialatte : « Nous sommes allés cherchant des hommes,
comme Diogène, pour leur demander des maximes ou des fenêtres sur
l’horizon ». Les fenêtres ouvertes par ses chroniques ne sont pas
prêtes de se refermer.
Et c’est ainsi qu’Allah est grand.