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Remue Méninge
22 août 2007

Défense de l'infini

De Louis Aragon, on retient, au choix selon son humeur et sa sensibilité :
- le poète dont les textes ont été popularisés par Ferré, Ferrat, Montand,…
- l’amoureux éperdu d’Elsa Triolet et ce poème merveilleux, « Les yeux d’Elsa » (1)
- l’auteur de poèmes hagiographiques et répugnants sur Staline
- le dictateur, avec Elsa, des lettres françaises pendant plus de 20 ans
- l’homme brisé, après la mort d’Elsa, qui se lança dans une bringue sans fin et des dépenses somptuaires (2)
- etc, etc,…

J’ai pour ma part une tendresse particulière pour le Louis Aragon de ses débuts, le Dada puis le surréaliste. Et un amour profond pour le recueil «La défense de l’infini» et les textes qui peuvent se rattacher, par filiation ou cousinage, à ce projet fou, dans sa conception et son destin.

Aragon a commencé en 1923 une œuvre conséquente, qui devait être publiée en 6 volumes à la NRF. Il en brûle la plus grande partie à Madrid à la fin de 1927. Il n’évoquera jamais directement «La défense de l’infini», commençant seulement en 1964 à distiller quelques allusions obscures. La reconstitution et la mise en forme de ce qui reste constituent (encore aujourd’hui puisque paraissent régulièrement de nouvelles éditions «renouvelées et augmentées») une véritable chasse au trésor.

Citons le principal inventeur (au sens originel du mot) : Edouard Ruiz et sa toute première édition de 1986. Une bonne partie des fragments retrouvés a été sauvée deux fois par celle qui accompagnait Aragon à Madrid, Nancy Cunard : en les retirant du feu en 1927, en les cachant lors du pillage de sa propriété pendant la Seconde guerre mondiale.

Pourquoi Aragon commet-il cet acte destructeur ? D’abord sa vie sentimentale est tellement compliquée qu’elle l’amène au bord de la folie : Elsa n’entrera en scène qu’un peu après… De plus le Groupe surréaliste, sous l’impulsion de la mégalomanie et la jalousie de Breton, condamne les «activités littéraires individuelles désordonnées» (sic) : lors d’une réunion du 23 novembre 1926, Aragon se fait attaquer pour le projet de «La défense de l’infini», Artaud est exclu, Soupault le sera quatre jours plus tard. Excusez du peu…

Si le texte le plus connu de ces fragments préservés est «Le Con d’Irène», ce n’est pas – pour ma part – mon préféré. «Les gens des cuisines se sont regardés» (3), «J’ai perdu le compte des années», «L’amour est un lieu où se résume une vie», «Ainsi, tout possédé de l’idée de l’amour», «Moi l’abeille j’étais chevelure» ou «Entrée des succubes» sont des textes plus puissants, plus charnus.

Et puis, et puis… il y a un texte, qui n’est pas lié directement au projet d’origine mais à une commande de 1929, texte publié toutefois par Edouard Ruiz en complément de son édition de 1986 : «Les Aventures de Jean-Foutre La Bite». Et c’est précisément de ce texte que je souhaite parler un peu.

Le héros, Jean-Foutre, clerc de notaire, est «une énorme bite, atteignant en hauteur la taille d’un homme moyen (…) une fort belle bite, non seulement par ses dimensions majestueuses, son maintien très viril et l’aisance de ses mouvements, mais également par un grand air de jeunesse et d’innocence qui lui valait certainement auprès des femmes un succès dont elle commençait à prendre conscience. Une expression rêveuse, le méat toujours légèrement ouvert, ajoutait encore à son charme juvénile.»

Jean-Foutre est secrètement amoureux de la Comtesse de la Motte, espionne du Pape, décrite ainsi : «Sous les plus beaux yeux verts du monde, en guise de nez et de bouche ce visage arborait un adorable con, dont le clitoris était joliment développé et dont les lèvres sans cesse humides semblaient inviter les passants.» Les mains de la Comtesse sont «des trous-du-cul, de ravissants trous-du-cul, minuscules, élastiques, une merveille d’orfèvrerie».

Pour ses activités coupables, la Comtesse est surveillée par l’Inspecteur Etron, «remarquable par la puanteur formidable qu’il exhalait, et surtout, malgré le feutre prudemment rabattu sur ses yeux qui étaient deux mouches bleues, par la forme et la consistance de toute sa personne qui n’était qu’une gigantesque merde ambulante, avec des glaires blanches de dysenterie en guise de col dur.»

Tous les soirs, l’Inspecteur fait l’apéro à 19h30 précises avec Monsieur Pisse («un homme un peu jaune mais très coulant»), Monsieur Thomas dit l’Avarie (un chancre du filet), Burette (un splendide testicule) et l’Abbé X (pas de particularité physique, à part la taille et la souplesse se son sexe, qui peut prendre la forme de la danseuse Pavlova dans «La mort du Cygne». Signalons que l’abbé, pas par homosexualité mais par amour de l’ordre établi, se masturbe lorsque l’Inspecteur Etron pérore).

L’humour est féroce, violemment anticlérical et anti-flics (4). Un passage savoureux décrit les bruits que les femmes émettent lorsqu’elles sont aux toilettes. De nombreux couples improbables se forment : une flaque d’urine avec une selle de jockey, une épingle de sûreté avec un os à moelle, une couronne mortuaire avec une tête-de-loup, une jambe avec un vol-au-vent… Mais pour Aragon, la vraie anomalie génétique se trouve chez les «mioches hurleurs et hideux» à qui il conseille : «Ouvrez de vos petites menottes le pantalon de votre père, la combinaison fermée de votre mère, et regardez le pénis, et regardez la vulve qui par un jeu surprenant et stupide se sont conjoints pour vous produire, et rien ne vous sera plus incompréhensible dans votre propre hideur !»

«Les Aventures de Jean-Foutre La Bite» s’achèvent abruptement, et pas à cause de la perte du texte : Aragon a certainement voulu que la fin n’ait ni queue ni tête…

(1) «Tes yeux sont si profonds que m’y penchant pour boire
         J’ai vu tous les soleils y venir se mirer
         S’y jeter à mourir tous les désespérés
         Tes yeux sont si profonds que j’y perds la mémoire»
(2) Anecdote intéressante : nombre des tableaux de Picasso qui se trouvent au siège du PCF sont des toiles qu’amenait Aragon à Georges Marchais, chaque fois qu’il venait négocier un apurement de ses dettes par le « Parti »…
(3) Faute de savoir ce qu’aurait été la mise en forme définitive, nombre des textes sont désignés par leur incipit
(4) Aragon n’a jamais supporté d’être le fils naturel d’un préfet de police de Paris

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  • Remuer sans faire tourner la mayonnaise… Une envie de partager quelques réflexions sur le monde qui nous entoure, de titiller votre vision de la vie, d’échanger et débattre sur des sujets variés…sur un ton léger et décalé.
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