Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Remue Méninge
30 décembre 2007

Le pays des malices

Pourquoi, plus de cent quarante ans après sa publication, Alice au pays des merveilles, du Révérend Charles Lutwidge Dodgson, plus connu sous son nom de plume Lewis Carroll, fascine-t-il encore tant d’adeptes ( Marilyn Manson compris ) ? Pourquoi cette œuvre, et sa suite De l’autre côté du miroir ont-ils fourni une inspiration inépuisable aussi bien à Breton, Artaud, Péret que Jarry ou Joyce ? Pourquoi, enfin, Lewis Carroll mérite-t-il de figurer au panthéon de l'absurde ?

Le mythe de la création de l’œuvre vaut déjà le détour : le 4 juillet 1862, Lewis Carroll, alors professeur à Christ Church, un des collèges d’Oxford, emmène les trois filles du doyen de cet établissement, M. Liddell, pour une balade en barque sur la Tamise. Sa préférée est Alice, alors âgée de dix ans. Ils s’arrêtent pour prendre le thé sur les bords de l’eau et Lewis Carroll, très inspiré, raconte les histoires qui donneront plus tard Alice au pays des merveilles. Quand ils rentrent, tard dans la soirée, Alice demande "Oh ! Mr. Dodgson, j’aimerais tant que vous écriviez pour moi les Aventures d’Alice ". Lewis Carroll invite les petites filles à venir chez lui pour leur montrer des photographies, et ce n’est qu’à neuf heures du soir qu’il les ramène chez elles.

Cette histoire, qui pourrait être celle d’un détournement pédophile, provoque la rédaction d’un ouvrage totalement décalé, dont Lewis Carroll offrira le premier exemplaire à Alice trois ans plus tard jour pour jour. Laissons la parole à celle-ci pour décrire les contes de son grand ami : « II semblait avoir une réserve inépuisable d’histoires fantastiques, qu’il inventait au fur et à mesure tout en dessinant sans arrêt sur une grande feuille de papier. Ses histoires n’étaient pas toujours complètement inédites. Parfois, il nous donnait une variante d’une histoire déjà racontée, parfois il débutait sur quelque chose que nous connaissions mais, en se développant, l’histoire, fréquemment interrompue, changeait du tout au tout et de façon inattendue. »

L’événement déclencheur de l’excursion en barque a incité Lewis Carroll à coucher sur le papier ces histoires fantastiques, dans lesquelles on retrouve des éléments fantasmagoriques essentiels au merveilleux.

La première caractéristique est l’onirisme : dans les deux histoires d’Alice, au pays des merveilles ou de l’autre côté du miroir, Alice s’endort, rêve puis se réveille. Bien plus qu’un artifice littéraire, cela introduit un décalage permanent entre une présentation rationnelle, logique (le Révérend Dodgson était professeur de mathématiques) des événements et une inversion brusque des comportements des personnages. Le Roi, la Reine, le Lapin ou le chat de Cheshire ne réagissent jamais comme on pourrait s’y attendre, mais systématiquement à l’inverse. Alice, elle-même est une inadaptée : elle est soit trop petite, ou trop grande ; la Reine blanche l’accuse même de vivre à l’envers.

La seconde caractéristique, qui inscrit Lewis Carroll parmi les inspirateurs de notre secteur, c’est un art consommé du nonsense. Le sens des actions, des paroles est détourné, le rêve intervient contre le monde terrestre, les objets (tels les cartes à jouer) sont détournés de leur cadre habituel. Dans la partie de croquet, les maillets sont des flamands vivants, les boules des hérissons et les arceaux des soldats courbés en deux.

Troisième caractéristique : les images court-circuitent la raison. L’exemple le plus flagrant est le sourire du chat de Cheshire, qui flotte dans l’air sans support et pousse, à chacune de ses apparitions, Alice vers de plus en plus d’incompréhension.

Enfin, dernière caractéristique, qui influencera les méthodes de travail des surréalistes : Carroll utilise l’assemblage d’éléments oniriques, d’images sans lien apparent et l’écriture automatique. Comme dit le Chapelier, « Je vois ce que je mange » veut dire la même chose que « Je mange ce que je vois » et c’est bien là une des morales à retenir de l’œuvre.

Mais on n’épuisera jamais les potentialités de ces aventures, inspirées à un austère clergyman par une balade en barque…

«Tout flivoreux vaguaient les borogoves,
Les verchons fourgus bourniflaient. »
(De l’autre côté du miroir)

« De son sexe corail
Ecartant la corolle
Prise au bord du calice
De vertigo Alice
S'enfonce jusqu'à l'os
Au pays des malices
De Lewis Carroll.»
(Variations sur Marilou de Serge Gainsbourg)

Publicité
Commentaires
Remue Méninge
Publicité
Remue Méninge
  • Remuer sans faire tourner la mayonnaise… Une envie de partager quelques réflexions sur le monde qui nous entoure, de titiller votre vision de la vie, d’échanger et débattre sur des sujets variés…sur un ton léger et décalé.
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Newsletter
Archives
Derniers commentaires
Publicité