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Remue Méninge
6 juin 2008

Mes soixante huîtres

Oui je sais, mai 68 c'est passé et on aurait pu écrire nos textes sur le sujet (enfin si on peut dire ça...) le mois dernier, mais un rendez-vous important dans la quatrième dimension nous a empêché toute interaction avec notre blog. Et pour finir bien sur on a été enlevé par des extra-terrestres ! (comment ça j'exagère?!)

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« 68 68 68 68 68…
Il y a des chiffres qui me font mal à mon dicteur. 68... Il s'en fout mon dicteur, il le connaît ce chiffre. Il l'a fait, comme on fait une partie de cartes. Les cartes, aujourd'hui, sont mêlées. Il n'y a plus rien qu'une certaine forme de dictature sentimentale qui vous arrange et qui vous endort pendant que les Autres veillent. »
(1)

Comment mieux résumer l’indifférence qui me traverse quand sont évoqués, à longueur de journée, les étudiants qui, il y a quarante ans, montaient des barricades et occupaient l’Odéon pour avoir le droit de visiter le dortoir des filles la nuit (2) ou bien ces millions de pue-la-sueur syndiqués qui faisaient grève et occupaient les usines, dans le seul but déloyal de travailler moins pour gagner plus ? (3)

Si certains affirment que l’événement le plus important de ce mois de mai se produisit le 22, lorsque, sur l’autoroute de l’Ouest, le Saint-Esprit, juché sur le porte-bagages de la moto d’un séminariste, se coinça l’aile gauche dans les rayons de la roue arrière (4), je souhaiterais placer en pleine lumière une lutte honteusement occultée : la révolte des huîtres.

L’huître, comme chacun le sait, est un animal concupiscent. Elle adore qu’une langue la titille, qu’une bouche la suce puis l’aspire goulûment avant que des dents la dépècent délicatement.

Or, depuis des lustres, une mesure dictatoriale prive l’huître de ce plaisir les mois sans « r ». Les ostréiculteurs étaient réduits au chômage technique de fin avril à début septembre et, désoeuvrés, se vautraient dans l’alcoolisme et la sodomie des tourteaux ; les huîtres, elles, étaient sommées de se reproduire, sans même être stimulées buccalement.

La colère grondait depuis des années dans les bancs d’huîtres. Dès le 22 mars 1968, un collectif de lutte était créé à Arcachon, baptisé « Huîtrez sans entraves ! » Des publications clandestines, acheminées avec la complicité des cormorans, se répandent très vite en Bretagne, Oléron, Bouzigues et Urbino.

Le 3 mai, l’agression à Noirmoutiers d’un rassemblement pacifique d’huîtres par un commando de bigorneaux factieux met le feu aux poudres. Très vite, partout sur les côtes françaises, les huîtres montent des barricades de coquilles, tiennent des AG enflammées, prennent du LSD et pratiquent l’amour libre.

Le coup de génie politique des huîtres, afin de populariser leur mouvement, fut de parcourir les campagnes déshéritées et les bidonvilles des cités, offrant de se faire aspirer, et ralliant ainsi à leur cause le prolétariat exploité. Certes, elles ne faisaient que suivre le conseil de Marx dans « Le dix huître brumaire », mais notons que cette radicalisation n’était pas faite d’avance, dans le milieu assez aisé et indolent des huîtres. Après 1968, nombre d’huîtres décidèrent d’aller se faire lécher en usine, ou bien créèrent des communautés hippies…

Au bout de trois semaines de grève générale de la reproduction et d’orgies gustatives, le pouvoir dut céder et ouvrir le 25 mai des négociations, à l’étang des Grenouilles, négociations qui s’achevèrent le 27 mai au matin. Un calendrier précis de généralisation de l’élevage est défini, avec pour but qu'une grande partie du naissain (5) soit collecté et protégé des prédateurs naturels, pour que le risque d'épuisement des stocks n'ait plus cours et que les huîtres puissent prendre leur pied en toute saison…

Alors aujourd’hui, quand vous dégustez en mai ou juin une n°4 bien laiteuse, n’oubliez pas de lui dire, avant de l’engloutir : « Hasta siempre, Compañera ! »

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(1) Et…basta ! de Léo Ferré.
(2) comme ce « pauvre Cohn » Bendit, « cet ancien poilu des tranchées de la rue Saint-Jacques, devenu presque impotent », ainsi que le qualifiait, dès 1982, Pierre Desproges.
(3) le « constat de Grenelle » prévoyait la revalorisation du SMIG de 35 % et une augmentation des salaires d’au moins 10 % pour 15 millions de salariés, un dispositif progressif d’application effective des 40 heures de travail par semaine décidées en 1936.
(4) cette référence à Thiéfaine est là uniquement pour te faire hurler de joie un pote qui est fan…
(5) les bébés huîtres.

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Remue Méninge
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